Pourquoi et comment anticiper la transmission de l’entreprise ?

Introduction

La transmission d’une entreprise, qu’elle soit réalisée au sein du cercle familial, à destination d’un tiers ou à l’occasion du départ à la retraite du dirigeant, constitue une opération stratégique d’une importance cruciale dans le cycle de vie de l’entité économique. Cette phase charnière engage la continuité de l’exploitation, la stabilité des emplois, la préservation du savoir-faire ainsi que la sécurisation du patrimoine professionnel du cédant. Elle suppose, à ce titre, une anticipation méthodique et pluridisciplinaire, tant sur le plan juridique, fiscal qu’organisationnel.

En l’absence de préparation, la transmission peut s’avérer périlleuse, voire entraîner l’échec de l’opération, avec des conséquences néfastes pour toutes les parties prenantes. Dès lors, l’anticipation apparaît comme un impératif, désormais reconnu tant par la doctrine que par les rapports publics récents (V. Sénat, Rapp. n° 440, 2017 sur la transmission d’entreprises, de MM. Claude NOUGEIN et Michel VASPART).

La présente étude a pour objet d’identifier les intérêts juridiques et fiscaux de l’anticipation de la transmission, puis d’en exposer les modalités techniques et pratiques.

I – L’intérêt juridique et fiscal de l’anticipation de la transmission

A – Assurer la pérennité de l’activité cédée

L’un des objectifs majeurs de l’anticipation est de préserver la continuité de l’exploitation post-transmission. En effet, le départ du dirigeant entraîne fréquemment la perte d’un capital relationnel, d’un savoir-faire stratégique ou d’une capacité de pilotage difficilement remplaçables à court terme. Cette problématique est particulièrement prégnante dans les PME à actionnariat concentré et à gouvernance personnalisée.

La jurisprudence admet l’intérêt légitime du cédant à conditionner la transmission à certaines garanties organisationnelles. En l’absence de tels garde-fous, le risque d’échec opérationnel est élevé.

B – Optimiser le régime fiscal de la transmission

L’un des principaux leviers d’anticipation réside dans l’optimisation de la charge fiscale afférente à la transmission. À cet égard, le législateur a prévu plusieurs dispositifs conditionnés à la préparation de l’opération, au premier rang desquels figure le pacte Dutreil.

Codifié à l’article 787 B du Code général des impôts, ce mécanisme permet, sous réserve d’engagements collectifs et individuels de conservation, de bénéficier d’une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit. La jurisprudence récente a assoupli certaines conditions de forme, tout en maintenant une exigence de rigueur dans la structuration des engagements.

En parallèle, les transmissions à titre onéreux bénéficient de régimes dérogatoires en présence de départs en retraite (CGI, art. 150-0 D ter).

L’anticipation permet donc de satisfaire les conditions juridiques et temporelles d’application de ces dispositifs, en évitant les contentieux fiscaux liés à des transmissions précipitées.

C – Sécuriser juridiquement l’opération

L’anticipation permet également une revue complète des éléments juridiques et contractuels de l’entreprise. Cette due diligence préventive inclut l’analyse des statuts, des pactes d’associés, des contrats stratégiques (baux, licences, contrats fournisseurs), ainsi que des éventuelles clauses de préemption, d’agrément ou de changement de contrôle.

La structuration de l’opération par la mise en place d’une holding de reprise ou de transmission, le cas échéant animatrice, offre une souplesse supplémentaire pour la gestion post-cession, tout en favorisant le recours au levier fiscal précité (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 10 s.).

D – Favoriser l’adhésion des parties prenantes

Enfin, une préparation progressive favorise l’adhésion des salariés, partenaires et financeurs à l’opération. La communication graduée et la montée en compétences des repreneurs (salariés, enfants, ou tiers) constituent un facteur clé de succès, comme le relèvent les études de la BPI (V. Bpifrance, Guide Transmission PME, 2022).

II – Les modalités juridiques et techniques de l’anticipation

A – Le diagnostic préalable de l’entreprise

Le diagnostic constitue la première phase de toute stratégie de transmission. Il doit être global et pluridisciplinaire, incluant :

  • un diagnostic économique (positionnement de l’entreprise, environnement concurrentiel) ;

  • un diagnostic financier (rentabilité, endettement, cash flow) ;

  • un diagnostic social (contrats de travail, climat interne) ;

  • un diagnostic juridique (forme sociale, engagements contractuels, contentieux en cours) ;

  • un diagnostic patrimonial (articulation entre les actifs professionnels et privés du dirigeant).

Ce diagnostic permet d’identifier les leviers d’optimisation, les zones de risque et les conditions nécessaires à la viabilité de la cession. Il constitue également un prérequis à l’évaluation.

B – L’évaluation de l’entreprise

L’évaluation financière constitue une étape clé dans la détermination d’un prix de cession cohérent. Plusieurs méthodes peuvent être retenues, selon la nature de l’activité : l’approche patrimoniale (actif net corrigé), l’approche comparative (multiples sectoriels), ou l’approche des flux actualisés (discounted cash flow – DCF).

Cette évaluation, réalisée en collaboration avec un expert-comptable ou un cabinet spécialisé, sert également de base aux négociations, à la structuration de prix différés (earn-out) ou à la répartition des garanties d’actif et de passif.

C – La structuration juridique et fiscale de l’opération

L’anticipation permet de choisir entre diverses modalités de transmission :

  • cession de titres (article 150-0 A CGI) ou d’actifs (article 238 quindecies CGI) ;

  • apport-cession à une holding nouvellement constituée (régime de report d’imposition – article 150-0 B ter CGI) ;

  • donation-transmission dans un cadre familial, avec pacte Dutreil ou abattement de 300 000 € pour transmission d’entreprise individuelle (article 787 C CGI).

Il convient de sécuriser cette structuration au regard des exigences du BOFiP, mais également des évolutions jurisprudentielles, notamment en matière d’abus de droit.

D – L’accompagnement humain et opérationnel

Enfin, le succès d’une transmission repose largement sur l’humain. L’accompagnement progressif du repreneur – notamment via une phase de gouvernance conjointe – permet un transfert de compétences, de culture et de légitimité managériale. Cette phase, bien que dépourvue d’effets juridiques immédiats, est essentielle à la réussite économique de la transmission.

Conclusion

La transmission d’entreprise ne saurait s’improviser. Elle suppose, au contraire, une planification rigoureuse, fondée sur une analyse juridique, fiscale et économique approfondie. L’anticipation permet de garantir la pérennité de l’activité, de sécuriser l’opération et d’en optimiser la charge fiscale. Elle constitue, de ce fait, un impératif stratégique pour tout dirigeant soucieux de la pérennité de son entreprise.

Cabinet KEYSINGTON

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