Cession d'une entreprise en difficulté : quelles opportunités et précautions pour les dirigeants ?

Introduction

La cession d’une entreprise en difficulté constitue une opération à la fois stratégique et juridiquement sensible. Qu’elle soit envisagée en amont d’une procédure collective, ou réalisée dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, elle impose une analyse rigoureuse du périmètre économique, des enjeux sociaux et des contraintes juridiques.

Instrument central de cette dynamique, le plan de cession, prévu aux articles L.642-1 et suivants du Code de commerce, permet le transfert, sous contrôle du juge consulaire, d’une activité autonome, de ses actifs et des contrats qui lui sont nécessaires, au profit d’un repreneur. Il constitue un levier de continuité économique et sociale, tout en assurant, autant que possible, un apurement du passif.

Encore faut-il en maîtriser les conditions de recours, les effets juridiques, les mécanismes de sélection des offres, les implications sociales, les risques contentieux et les opportunités économiques. La présente analyse propose un décryptage approfondi de cette opération complexe, à jour au 4 décembre 2025.

I – Cadre juridique du plan de cession : finalités, conditions d’ouverture et régime procédural

A – Objectifs et fondement légal

Le plan de cession vise à assurer la continuité d’activités jugées viables, indépendamment de la survie de la société elle-même. Il poursuit trois finalités essentielles, énoncées à l’article L.642-1 du Code de commerce : la poursuite d’activités susceptibles d’exploitation autonome, la préservation de tout ou partie des emplois, et la contribution à l’apurement du passif.

Contrairement au plan de redressement, qui repose sur la capacité du débiteur à restructurer son activité, le plan de cession organise la reprise par un tiers, par cession des actifs nécessaires à la continuité d’exploitation.

B – Conditions d’ouverture et champ procédural

Le plan de cession peut être arrêté dans deux hypothèses principales : en redressement judiciaire (C. com., art. L.631-22), lorsque la société est en état de cessation des paiements mais dispose encore d’une chance de survie, ou en liquidation judiciaire, à condition que le tribunal ait autorisé la poursuite provisoire de l’activité dans l’intérêt des créanciers ou de l’économie locale (C. com., art. L.641-10 et L.642-2).

En dehors de ces deux cas, notamment dans le cadre d’une sauvegarde, seule une cession partielle est envisageable. La cession totale suppose alors l’ouverture d’une procédure de redressement.

C – Déroulement de la procédure et rôle du tribunal

La procédure est strictement encadrée. Le tribunal de commerce autorise d’abord la poursuite de l’activité et fixe un délai pour le dépôt des offres. Ces dernières sont examinées par les organes de la procédure – administrateur ou liquidateur judiciaire – puis soumises à l’appréciation du tribunal.

Conformément à l’article L.642-5 du Code de commerce, le tribunal sélectionne l’offre qui assure, dans les meilleures conditions, la pérennité de l’activité, le maintien de l’emploi, le paiement du prix, et qui présente les meilleures garanties d’exécution. Le prix, bien que pris en compte, n’est pas un critère exclusif. L’offre doit être juridiquement complète, opérationnellement crédible et financièrement sécurisée.

Le jugement arrêtant le plan de cession, rendu en audience publique, précise le périmètre cédé, les contrats transférés, les éventuels licenciements autorisés, le calendrier d’exécution, les garanties exigées et, le cas échéant, les clauses d’inaliénabilité ou de sauvegarde attachées aux actifs (C. com., art. L.642-10).

II – Effets juridiques du plan de cession : actifs, contrats, emploi et passif

A – Délimitation du périmètre et transfert des contrats

Le plan doit énumérer précisément les éléments cédés. Seuls les actifs, droits ou contrats expressément désignés peuvent être transmis. À défaut, ils sont exclus du périmètre, et leur réalisation interviendra ultérieurement sur autorisation du juge-commissaire (C. com., art. L.642-18).

Les contrats nécessaires à la poursuite de l’activité sont transférés de plein droit, sauf s’ils ont un caractère intuitu personae, auquel cas l’accord du cocontractant est requis (C. com., art. L.642-7). Le contrat doit être en cours au jour du jugement et directement lié à l’exploitation.

En matière de bail commercial, la jurisprudence a jugé inopposables les clauses de préemption ou d’agrément dans le cadre d’une cession judiciaire, dès lors que le tribunal qualifie le bail de nécessaire à l’activité (CA Versailles, 30 janv. 2020, n° 18/05389).

B – Sort des contrats de travail

Conformément à l’article L.1224-1 du Code du travail, la cession d’une entité économique autonome entraîne le transfert automatique des contrats de travail liés à l’activité reprise. Cette règle s’applique même en procédure collective, dès lors que les conditions d’autonomie et de continuité d’activité sont réunies.

Par exception, le tribunal peut autoriser des licenciements pour motif économique si ceux-ci sont expressément prévus dans le plan et notifiés dans le mois suivant le jugement (C. com., art. L.642-5 et R.642-3). Le non-respect de ce délai entraîne l’irrégularité des licenciements et expose le repreneur à un contentieux indemnitaire.

En dehors du plan de cession, les cessions d’actifs de gré à gré, autorisées par le juge-commissaire (C. com., art. L.642-19), restent soumises à l’article L.1224-1 si elles portent sur une entité autonome. Les licenciements opérés à cette occasion peuvent être jugés sans effet (CE, 22 oct. 2014, n° 372642).

C – Exclusion du passif antérieur et obligations du repreneur

Le repreneur n’est pas tenu du passif antérieur à la cession. Il ne devient pas l’ayant-cause universel du débiteur. Il n’est tenu que des obligations expressément mentionnées dans l’offre et acceptées par le tribunal (Cass. com., 10 févr. 2009, n° 07-20.553). Il bénéficie ainsi d’une séparation nette d’avec les dettes anciennes, sauf engagement volontaire contraire.

Le prix de cession est déposé à la Caisse des dépôts et consignations. Il permet de contribuer à l’apurement du passif, en complément des produits de ventes résiduelles et d’éventuelles actions en nullité, en comblement ou en responsabilité (jurisprudence constante).

Le tribunal peut imposer des clauses d’inaliénabilité temporaire ou des interdictions de disposition sur certains actifs, afin d’assurer la bonne exécution du plan. Ces clauses peuvent être levées par autorisation judiciaire, après avis du ministère public (C. com., art. L.642-10).

III – Outils d’optimisation, points de vigilance et opportunités économiques

A – Audit juridique et préparation de l’offre

L’efficacité d’un plan repose sur la solidité de l’offre et la qualité de sa préparation. Un audit juridique, fiscal, social et assurantiel est indispensable avant toute candidature. Il permet d’identifier les actifs transférables, les contrats en cours, les sûretés, les engagements sociaux et les risques contentieux.

L’offre doit préciser le périmètre repris, le niveau d’emploi maintenu, la structure de financement, les garanties apportées et, le cas échéant, les conditions de location-gérance ou de transfert progressif.

Le sérieux de l’offre est apprécié à l’aune des articles L.642-4 et L.642-9 du Code de commerce, qui permettent au tribunal de vérifier l’identité, la solvabilité, l’origine des fonds, les garanties de substitution et les engagements à terme.

B – Opportunités économiques et outils de transition

La reprise d’une entreprise en difficulté offre des conditions économiques attractives. Le prix de cession est souvent inférieur à la valeur réelle des actifs en situation normale. Le repreneur peut accéder à une activité opérationnelle, une clientèle établie, des marques ou un savoir-faire, à un coût optimisé, sans reprise du passif antérieur.

Le recours à la location-gérance adossée à une promesse d’achat, autorisée pour une durée maximale de deux ans (C. com., art. L.642-13), permet une transition maîtrisée, notamment pour les secteurs sensibles ou les projets industriels complexes.

Certaines polices d’assurance, notamment dommages aux biens, sont transférées avec l’actif concerné (C. assur., art. L.121-10), ce qui permet de sécuriser la couverture opérationnelle dès la reprise.

C – Risques contentieux et sécurisation juridique

Les principaux risques résident dans les nullités de la période suspecte, les clauses d’inaliénabilité non respectées, les contestations de licenciements, les erreurs d’interprétation du périmètre cédé, ou encore les contentieux liés aux engagements environnementaux ou de propriété intellectuelle, qui doivent faire l’objet d’audits spécifiques.

L’appel contre le jugement arrêtant le plan est strictement encadré. Le candidat évincé ne dispose d’aucun recours hors excès de pouvoir (Cass. com., 10 juill. 2012, n° 11-17.196).

Conclusion

La cession judiciaire d’une entreprise en difficulté par plan de cession constitue un levier puissant de sauvegarde économique, à condition d’en maîtriser l’ensemble des mécanismes juridiques. Pour le dirigeant, elle peut représenter une issue responsable permettant de préserver l’essentiel. Pour le repreneur, elle offre une opportunité d’investissement stratégique, à condition de bâtir une offre solide, conforme aux exigences du droit des entreprises en difficulté.

Le cabinet Keysington accompagne les dirigeants et repreneurs dans toutes les étapes de l’opération : analyse du périmètre, structuration de l’offre, sécurisation juridique et sociale, relations avec les organes de la procédure et exécution du plan.

Cabinet KEYSINGTON

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