Transmission d’entreprise familiale : la pertinence du Family Buy Out (FBO) dans le cadre du droit patrimonial et fiscal français

Introduction

La transmission d’une entreprise familiale constitue l’un des moments les plus sensibles de la vie d’un dirigeant. Elle confronte des enjeux économiques, patrimoniaux et humains souvent difficilement conciliables, tout particulièrement lorsque les héritiers ne manifestent pas tous la même volonté de poursuivre l’activité. À la croisée du droit des sociétés, du droit fiscal et du droit des successions, le Family Buy Out (FBO) s’impose aujourd’hui comme un instrument de transmission particulièrement efficace, conciliant la continuité économique de l’entreprise et l’équité successorale entre les héritiers.

I – Le Family Buy Out : un mécanisme de transmission hybride et sécurisé

A – Un outil né d’un environnement juridique et fiscal favorable

Depuis la loi du 1er août 2003 dite « Dutreil », le législateur a expressément cherché à favoriser la conservation des entreprises au sein du cercle familial. Le régime des transmissions d’entreprises prévu à l’article 787 B du Code général des impôts (CGI) institue une exonération de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur des titres transmis, sous réserve de conditions strictes tenant notamment à la nature de l’activité, à l’engagement de conservation et à l’exercice d’une fonction de direction.

Ce dispositif a été consolidé par la loi de finances pour 2009, qui a permis l’apport à titre onéreux de titres à une société holding sans remise en cause de l’exonération partielle, renforçant ainsi l’attractivité du schéma de transmission par voie de holding. Dans ce contexte, le FBO s’inscrit dans une dynamique d’ingénierie patrimoniale optimisée, combinant donation-partage, pacte Dutreil et effet de levier financier, au service d’une transmission économiquement viable et fiscalement efficiente.

B – Définition et principe du Family Buy Out

Le Family Buy Out – ou rachat familial – consiste à permettre la reprise de l’entreprise par un ou plusieurs héritiers tout en assurant une compensation équitable des autres ayants droit. Concrètement, le dirigeant transmet ses titres, généralement dans le cadre d’une donation-partage anticipée, à l’héritier repreneur. Une soulte est alors versée aux cohéritiers non-repreneurs pour compenser la disparité de valeur, conformément aux principes posés par les articles 1078 et suivants du Code civil.

Le financement de cette soulte est assuré par une holding de reprise constituée par le ou les héritiers repreneurs. Cette société contracte un emprunt bancaire et se substitue à eux pour le paiement, les dividendes de la société d’exploitation servant ensuite à rembourser la dette. L’opération conjugue ainsi transmission anticipée et effet de levier financier (LBO), tout en préservant la cohésion familiale.

II – Les composantes juridiques et fiscales du Family Buy Out

A – La donation-partage : une anticipation successorale encadrée

La donation-partage, prévue à l’article 1075 du Code civil, permet au chef d’entreprise de répartir de son vivant tout ou partie de ses biens entre ses héritiers, en fixant la valeur des biens au jour de l’acte. Cette cristallisation de la valeur limite les risques de contentieux liés à la revalorisation postérieure, notamment lors du règlement de la succession.

L’acte suppose l’accord de tous les héritiers réservataires et peut comporter diverses clauses protectrices : clause de retour conventionnel (article 951 du Code civil), interdiction de cession, clause de remploi ou encore clause de maintien de l’unité économique de l’entreprise. Ces stipulations permettent de concilier l’équité successorale et la continuité de l’exploitation.

B – Le pacte Dutreil : un levier fiscal majeur

L’articulation du FBO avec le pacte Dutreil est déterminante pour en maximiser l’efficacité fiscale. Le régime prévu à l’article 787 B du CGI subordonne l’exonération de 75 % de la base taxable à trois conditions cumulatives :

  1. La souscription d’un engagement collectif de conservation des titres pendant deux ans au minimum ;

  2. Un engagement individuel de conservation de quatre ans par le bénéficiaire à l’issue du premier ;

  3. L’exercice d’une fonction de direction par l’un des signataires ou le donataire pendant trois ans.

Le respect de ces conditions permet d’atteindre un coût fiscal particulièrement réduit, notamment en cas de transmission anticipée par donation-partage, et ce sans compromettre la liquidité nécessaire au financement de la soulte. Le dispositif s’applique aux entreprises exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des sociétés à prépondérance civile ou patrimoniale.

C – La holding de reprise : un vecteur d’effet de levier et de pérennité

La création d’une société holding par l’héritier repreneur permet de structurer juridiquement et financièrement l’opération. Cette société détient les titres transmis et contracte un emprunt pour financer la soulte due aux cohéritiers. Les dividendes versés par la société d’exploitation, souvent remontés sous régime mère-fille (article 145 du CGI) ou dans le cadre de l’intégration fiscale (articles 223 A et s. du CGI), permettent un remboursement optimisé grâce à l’utilisation des flux avant impôt.

Outre la rationalisation du financement, la holding offre une souplesse de gouvernance (nomination de dirigeants, pactes d’associés familiaux, clauses de préemption ou d’agrément), renforçant la stabilité de la structure familiale sur le long terme.

III – Les avantages et enjeux du Family Buy Out

L’intérêt majeur du FBO réside dans sa capacité à reconcilier les exigences patrimoniales, fiscales et entrepreneuriales. Sur le plan économique, l’effet de levier permet de financer la reprise sans diluer le contrôle familial et en limitant les sorties de trésorerie immédiates. Sur le plan fiscal, la combinaison du pacte Dutreil et de la donation-partage permet une réduction substantielle des droits de mutation, voire une quasi-neutralité fiscale dans certains cas.

Enfin, sur le plan humain et successoral, le dispositif préserve la cohésion familiale en assurant une équité entre héritiers : les non-repreneurs reçoivent une compensation équitable, tandis que l’entreprise demeure entre les mains d’un successeur impliqué et légitime.

Toutefois, la mise en œuvre du FBO exige une concertation étroite entre conseils juridiques, fiscaux et financiers, afin d’éviter les risques de requalification (abus de droit, acte anormal de gestion) et d’assurer la conformité de l’opération aux exigences de l’administration fiscale.

Conclusion

Le Family Buy Out s’affirme comme une technique d’ingénierie patrimoniale complète, adaptée aux enjeux contemporains de la transmission d’entreprise familiale. En conjuguant souplesse juridique, optimisation fiscale et continuité économique, il constitue un levier efficace de préservation du capital entrepreneurial au sein des lignées familiales. Bien maîtrisé, il devient un véritable instrument de gouvernance intergénérationnelle, conciliant la mémoire familiale et la pérennité économique.

Cabinet KEYSINGTON

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