Cession de fonds de commerce et transmission des contrats de distribution

La cession d’un fonds de commerce est une opération juridique complexe, qui implique le transfert à un tiers de l'ensemble des éléments nécessaires à l'exploitation d'une activité commerciale ou industrielle. Ce processus, bien que courant, suscite diverses interrogations pratiques et juridiques, notamment en ce qui concerne le sort des contrats en cours, et plus particulièrement des contrats de distribution.

Pour les chefs d’entreprise, la sécurisation de ces contrats est cruciale, car leur perte ou leur non-transmission peut compromettre la continuité de l’exploitation.

1. Cession du fonds de commerce : quels éléments sont transmis ?

La cession d'un fonds de commerce porte sur l'ensemble des éléments corporels et incorporels affectés à l'activité. Ces éléments sont essentiels à la continuité de l’exploitation par le nouvel acquéreur.

Les éléments transmis de plein droit

La cession emporte le transfert automatique des éléments suivants :

  • La clientèle : Considérée comme l'élément essentiel du fonds, la clientèle est automatiquement transmise avec le fonds. Elle constitue la valeur économique principale.

  • L’enseigne et le nom commercial : Ces signes distinctifs, qui permettent l’identification de l’établissement, sont également transmis, sauf clause contraire (article L. 141-5 du Code de commerce).

  • Le droit au bail : L’acquéreur bénéficie automatiquement du transfert du droit au bail, sous réserve que le bailleur ait été informé de la cession (article L. 145-16 du Code de commerce).

  • Les droits de propriété intellectuelle : Les marques, brevets et autres droits de propriété industrielle attachés au fonds suivent également la cession, à condition qu’ils soient inclus dans l’acte.

  • Les contrats de travail : Conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail, le transfert du fonds entraîne automatiquement le transfert des contrats de travail en cours, garantissant ainsi la continuité de l’emploi.

  • Les contrats d’assurance liés à l’exploitation : Les polices d’assurance, si elles couvrent les risques liés à l’activité du fonds, peuvent être transférées sauf opposition de l’assureur.

Les éléments non transmis sans accord exprès

Certaines composantes du fonds de commerce, par leur nature ou leur spécificité, ne sont pas automatiquement transférées lors de la cession :

  • Les créances et dettes du cédant : Ces éléments de patrimoine restent attachés à la personne du vendeur, sauf convention contraire (article L. 141-5 du Code de commerce).

  • Les contrats de distribution et les contrats fournisseurs : Sauf stipulation expresse dans l’acte de cession ou accord préalable du cocontractant, ces contrats ne sont pas transférés automatiquement.

  • Les livres comptables et documents internes : Ils demeurent la propriété du cédant, car ils sont considérés comme des éléments personnels et confidentiels.

Les contrats "intuitu personae" : une difficulté particulière

Les contrats dits intuitu personae (conclus en considération de la personne du cédant) posent une difficulté particulière, car ils ne se transmettent pas automatiquement avec le fonds. Parmi eux, les contrats de distribution sont souvent les plus stratégiques pour l'acquéreur.

2. Transmission des contrats de distribution : un enjeu stratégique

Nature et typologie des contrats de distribution

Les contrats de distribution permettent à une entreprise de commercialiser ses produits ou services via un tiers (franchise, concession, agence commerciale, etc.). Ces contrats sont souvent conclus en considération de la personne du cédant et sont donc réputés intuitu personae.

La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2022 (n°21-16.169) que la cession du fonds de commerce n’entraîne pas automatiquement la transmission des contrats de distribution, même si ces derniers sont essentiels à l’activité cédée.

  • La Haute juridiction a jugé que le contrat, non mentionné dans l’acte de cession et non agréé par le cocontractant, demeure à la charge du cédant.

  • Par ailleurs, le simple fait que le contrat soit indispensable à l’exploitation ne suffit pas à rendre la transmission automatique.

Cadre légal applicable

L'article 1216 du Code civil dispose que « le cédant peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant ». En conséquence :

  • Le contrat de distribution reste en principe personnel au cédant.

  • La cession de la qualité de partie nécessite l’accord préalable du cocontractant, ce qui peut entraîner des blocages si ce dernier refuse.

Clause de transmission dans l'acte de cession

Pour prévenir toute difficulté, il est conseillé d'insérer dans l’acte de cession une clause expresse précisant le transfert des contrats de distribution, accompagnée d’une demande d’agrément du cocontractant.

3. Conséquences pratiques et risques pour l’acquéreur

Impact sur l'exploitation

En cas de refus du cocontractant, l'acquéreur peut se retrouver privé de droits de distribution essentiels, ce qui peut compromettre la rentabilité et la continuité de l'activité. Il devra alors :

  • Renégocier le contrat avec le fournisseur ou le franchiseur, ce qui peut être long et incertain.

  • Rechercher un autre partenaire commercial, avec le risque de perturber la clientèle.

Clause de garantie d’éviction

Il est judicieux de prévoir une garantie d’éviction dans l’acte de cession, permettant à l’acquéreur de se retourner contre le cédant si un contrat essentiel n’est pas transféré.

4. Recommandations pour les chefs d’entreprise

  • Anticiper les négociations : Dès la phase préparatoire de la cession, identifier les contrats de distribution essentiels et initier les démarches d’agrément.

  • Prévoir des clauses précises : L’acte de cession doit inclure une clause de transfert des contrats ou, à défaut, une clause de garantie de maintien d’activité.

  • Sécuriser les relations avec les partenaires : Obtenir des accords préalables des cocontractants pour limiter les risques de rupture des contrats.

  • Accompagnement juridique personnalisé : Faire appel à un avocat expérimenté en droit des affaires pour la négociation et la rédaction des actes de cession.

Cabinet KEYSINGTON

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